Chronique à Cannes #6 // La Croisette se remet petit à petit du Weerasethakul. Depuis, quelques belles surprises à signaler, – colombienne, suisse et mexicaine -, un exercice de style réussi (Villeneuve) et des sifflets pour Donzelli.
Mardi 19 mai. Tout le jury nous est passé devant à la sortie du Valérie Donzelli dans la Grande Salle du Palais : les présidents Coen et leurs moitiés (Frances McDormand en tête), Guillermo Del Toro et sa femme dont on pouvait voir poindre une larme au coin de l’oeil, une conjonctivite sans doute, (les divines) Sophie Marceau, Sienna Miller et Rossy De Palma, puis le ténébreux Jake Gyllenhaal. On ne peut pas dire que l’enthousiasme débordait de leurs mines. On y revient dans les lignes qui suivent.
Famille décomposée. Valérie Donzelli s’est attaquée à une histoire chère aux bas-normands du Contentin, l’histoire de Marguerite et Julien de Ravalet, coupable de vivre une histoire d’amour entre frère et soeur dans leur château de Tourlaville au XVe siècle. Donzelli la joue en famille, encore avec Jérémie Elkaïm son ex-futur compagnon, leur aîné Gabriel qui incarne Julien de Ravalet enfant. Et tout ce petit monde se prend pour Sofia Coppola revisitant Versailles, Le Petit Trianon et Marie-Antoinette. Ici point de Air mais des retouches signées Warren Ellis (la BO de The Assassination of Jesse James tourne à plein), les anachronismes font loi, hélicoptères, radios, vinyles… En conférence de presse, la réalisatrice de La Guerre est déclarée a confié avoir tourné le film comme un clip. On veut bien le croire. On savait la production très tardive pour les délais cannois mais le rush des dernières semaines n’a pas dû aidé à rendre une copie convenable. Tiré d’une histoire très forte, le film nous laisse de marbre, frisant le ridicule parfois – les déguisements de la fuite et les balades en âne-nain feront date – pas une seconde on ne se prend à croire à cette idylle incestueuse. Dommage, on aurait bien aimé soutenir le Contentin par procuration. A bon entendeur…
Undercover. Denis Villeneuve n’était pas venu à Cannes depuis Polytechnique, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. Le canadien (Incendies), valeur sûre du cinéma d’auteur d’action à Hollywood depuis quelques années (Prisoners), connaît les joies de la Compétition pour la premières fois avec Sicario. Au casting, un trio de choix, Emily Blunt, Josh Brolin et surtout Benicio Del Toro, magnétique tout le long du film, aussi mystérieux et dangereux que Javier Bardem dans No Country For Old Men. Sicario lorgne vers de nombreux genres, le film de frontière se baladant entre les Etats-Unis et le Mexique, les film de vengeance, le film de cartels et même les les films d’assaut au regard vert grâces aux séquences de missions embarquées en séance nocturne remise au goût du jour par Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow. Même si le scénario n’est pas l’atout majeur du film, Villeneuve et le chef op’ Roger Deakins (photo dingue) ont signé une mise en scène chirurgicale. Deux scènes qui feront date : les deux traversées de frontières : sur le pont et dans le tunnel. Des modèles du genre.
On a vu aussi. Un premier long métrage magistralement mis en scène La tierra y la sombra du colombien César Augusto Acevedo présenté à la Semaine de la Critique, dans le lequel un vieil homme revient dans la maison familiale de son fils très malade pour aider la famille. De nombreux non-dits ressurgissent dans un environnement pour le moins exceptionnel, une maison isolée et gagnée par d’immenses plantations de cannes à sucre. Un candidat sérieux à la Caméra d’or. Lionel Baier est suisse, et présentait en sélection ACID La Vanité, son deuxième long métrage, avec Patrick Lapp et Carmen Maura. Un vieil architecte hautain et orgueilleux prend une chambre dans un motel quasi désert. Une femme le rejoint. Un jeune homme se prostitue dans la chambre mitoyenne. Un mystérieux dialogue s’installe dans ce ménage à trois. Motel hitchcockien, situations loufoques et hors du temps à la Pascal Thomas, Baier manie les décalages et se joue avec amusement des faux-semblants. Le Mexique est désormais l’un des pourvoyeurs principaux des grands Festival de cinéma à travers le globe : Reygadas, Inarritu, Cuaron, Escalante, Rowe, il faudra aussi compter avec David Pablos. Las Elegidas, ces élues dont on parle ce sont ces jeunes femmes prostituées de force appâtées qu’elles sont par leurs petits amis; ce film dit de frontière basé à Tijuana compile les thèmes forts et omni-présents du cinéma mexicain moderne, hyper-violence, corruption, bordels, cartels, le cocktail est réussi (le film est en deçà de ses prédécesseurs, Reygadas ou Escalante par ex., en terme de provocation), la mise en scène brillante. Une vraie bonne surprise.
Dans le prochain épisode : Brillante Mendoza, Patrick Wang, Paolo Sorrentino et Jia Zhang-ke…