Chronique à Cannes #10 // Dernière chronique avant le Palmarès et l’heure des bilans. L’ogre Depardieu a tout emporté sur son passage, il nous reste plus grand-chose, mais on a encore deux trois bricoles à raconter.
Samedi 23 mai. Le marché du film est désert. Même le stand Nespresso, haut-lieu de fréquentation transpirante, est triste à voir et les jolies hôtesses derrière le comptoir presque plus nombreuses que les derniers festivaliers sous cernes actives. Ça sent la fin comme dirait l’autre. Dernière ligne droite avant que le jury des frères Coen ne parte s’enfermer sur les hauteurs de Cannes pour délibérer.
« You know Châteauroux ? ». Gérard Depardieu est un monstre. À voir la tête de l’ensemble du jury présent lors de la projection de Valley of Love de Guillaume Nicloux, nous ne sommes pas les seuls à le penser. Qui d’autre que lui pour afficher une telle désinvolture dans des moments pareils. Tous les auteurs sont dans leurs petits souliers avant de franchir le palier de la salle Lumière et de ses 4600 yeux inquisiteurs. Lui ? C’est le patron. Ovationné comme une rockstar avant et après, Depardieu a fait le show pour son retour en Compétition. Agnès Varda, Lambert Wilson, son copain Denisot, tous venus voir le phénomène. Guillaume Nicloux a écrit sur mesure pour ses deux têtes d’affiche, ils incarnent leur rôle, acteurs célèbres, prénommés Gérard et Isabelle, Gérard vient de Châteauroux, et une réplique savoureuse « You know Châteauroux ? » qui a déclenché l’hilarité générale. Leur fils leur a écrit une lettre avant de mourir, leur donnant rendez-vous dans la Vallée de la Mort à une date précise leur promettant de revenir les voir. Un deuil qui sonne tout particulièrement quand on connaît le destin des Depardieu. Et même si Huppert est égale à ce qu’elle peut provoquer à l’image, c’est Depardieu qui envahit le film. Et le film dans tout ça ? Une bande-annonce flatteuse au son de Charles Ives avait fait espérer le meilleur. Sa musique est restée (tout le long du film), la magie beaucoup moins. On pense à Gus Van Sant, au trip US de Bruno Dumont, mais cette Valley accouche d’une petite vipère. Dommage, ce cinquième film français en Compétition vient confirmer un cru hexagonal historiquement faible. On y reviendra dans notre bilan.
Terminus. La Compétition s’est achevée ce matin avec la projection de Macbeth avec Michael Fassbender et Marion Cotillard, l’adaptation signée Justin Kurzel, australien révélé à la Semaine de la Critique avec Snowtown. Dure projection de fin de Festival, les paupières sont lourdes, les arias shakespeariens éternels, les paupières sont encore plus lourdes, dès que l’on ouvre un oeil on se croit dans un épisode de Vikings, dès qu’on en ouvre un autre c’est des prémices du futur projet du trio Kurzel-Fassbender-Cotillard qui nous sautent à la gorge : les trois compères se sont déjà donné rendez-vous pour l’adaptation cinéma du célèbre jeu video Assassin Creed. Fassbender ferait un prix d’interprétation honorable, Marion pleure (encore). Voilà tout. Pour clore l’épisode Compétition avant le jeu des pronostics, brève incartade chez le mexicain Michel Franco : Tim Roth lui avait remis le prix Un Certain Regard pour Despues de Lucia – que nous avions beaucoup aimé – quand il était président dudit jury, l’acteur se retrouve dans Chronic. Malheureusement le procédé est le même, plastique impeccable, brillant dehors mais tellement dégueulasse dedans. Franco suit son personnage d’aide-soignant dévoué à l’extrême auprès de ses patients à domicile allant jusqu’à les délivrer de leur vie de souffrance sans trop de difficulté dirons-nous. « Euthanachiant » et un switch final tellement ridicule et léger qu’il en devient risible…
On a vu aussi. Deux jolis films au fort potentiel en salles à leur sortie. Masaan premier film indien de Neeraj Ghaywan au coeur de Bénarès au Nord de l’Inde et ses ghats de crémation. Bel accueil pour cette histoire entre castes, police zélée et amours contrariées. Et la clôture de la Quinzaine des Réalisateurs qui est revenue à l’une des sensations du dernier Festival de Sundance Dope de Rick Famuyiwa. L’occasion de voir débarquer dans la salle Pharrell Williams, compositeur de la BO. La salle du Théâtre Croisette s’est emballée pour ce mini-Supergrave à la sauce hip-hop, un feel-good movie bien US. Eminemment réjouissant.
Dans le prochain épisode. Ben, ce sera pas forcément un épisode parce qu’on va fermer boutique mais plutôt un bilan en forme de Palmarès idéal.