Sur une Croisette en état de siège sécuritaire, le 70e Festival de Cannes a démarré sur de très bonnes bases
Des pots de fleurs géant en pleine rue anti-intrusion de véhicules-béliers, des portiques d’aéroports à toutes les entrées du Palais, Cannes a revêtu des habits post-attentats (à peine à quelques dizaines de km de la meurtrie voisine niçoise) à la l’occasion de l’organisation du plus grand Festival de cinéma au monde.
Mais cette ambiance nouvelle n’a pas empêché l’affluence des grands jours dès les tout premiers jours. Pas de round de lancement. Le monde s’est bien donné rendez-vous encore une fois dans le sud de la France au mois de mai pour se délecter les yeux, les oreilles et le business. Alors que tout Cannes bruisse des soubresauts polémiques de l’affaire Netflix, le Festival a commencé par une mini-bronca au début de la séance de Wonderstruck (Todd Haynes) à l’apparition du logo du Festival et celui d’Amazon (producteur du film) qui n’a rien à voir avec le problème de chronologie des médias du nouveau géant américain de VOD. Mais bon ça
Juliette Binoche éclatante en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs
C’est encore une fois du côté de la plus célèbre sélection parallèle qu’une grande figure du cinéma d’auteur français opère sa mue. Du drame à la comédie, Claire Denis fait sa Bruno Dumont. Après la découverte de la mini-série P’tit Quinquin en 2014 du réalisateur de Twentynine Palms, la Quinzaine a choisi d’ouvrir sa 49e édition avec Un beau soleil intérieur, une variation drôlatique et inspirée d’après Fragments de Roland Barthes, et une distribution hexagonale spectaculaire (Juliette Binoche, Gérard Depardieu, Xavier Beauvois, Nicolas Duvauchelle, Bruno Podalydès, Valeria Bruni-Tedeschi, et on en passe…).
Pour cet exercice de style, Claire Denis a partagé l’écriture avec Christine Angot. Résultat : le film aurait pu s’appeler Les Amours impssibles de Juliette. Binoche étincelle tout du long entre histoires sans lendemain et rêves de grand amour définitif. Elle est extraordinaire. L’un de ses plus beaux rôles, et au firmament de sa beauté toute française. Elle peint, on y croit. Elle galère avec ses Jules, on y croit. C’est dire. Le film n’est pas parfait. Les dialogues, écrits comme une belle autofiction à la Angot, ne se révèlent pas aussi évidents dans la bouche d’une Binoche ou d’un Duvauchelle, un cran en dessous du reste de la distribution. Pour compléter le décor, quelques moment de grâce : la scène chez la voyante avec madame Irma (Depardieu), et Binoche en promenade-thérapie champêtre avec la colonie Charles Pépin, Bertrand Burgalat, Tania de Montaigne, Alex Descas.
On a vu aussi
Du lourd, du très lourd déjà en compétition en ce début de Festival avec Todd Haynes et Andrei Zviaguintsev. Deux des plus grands auteurs du cinéma mondial. Et deux postulants déjà sérieux à un prix de la mise en scène. Wonderstruck le nouveau film de Todd Haynes (Loin du Paradis, Carol). Une merveille absolue. Un conte sur l’enfance, à New-York, sur trois périodes différentes. On pense à Spielberg, on pense à Dickens, on pense à Méliès. Avec son apparence de simplicité mièvre, le film ne cesse prendre de l’ampleur après une installation un peu laborieuse. Tout y est plus beau et travaillé que dans 95% des films que l’on peut voir tous les jours. La photo signée Lachman, la musique de Carter Burwell (que l’on retrouvera aux Oscars 2018 sans aucun doute), l’un des personnages principaux du film là le muet et le silence a une importance primordiale dans la narration. Encore aussi des références à Murnau, des scènes de réél/irréél, new-york en maquette, new-york en images, Todd Haynes s’amuse et nous amuse, réussissant, pour rien gâcher, l’un des plus vibrants épilogues de sa riche filmographie. Autre salle, autre ambiance, avec Loveless le nouveau Zviaguintsev. Le maître russe revient avec ce qu’il sait faire de mieux. Une chronique ciselée de la Russie d’aujourd’hui, cliniquement parfaite, des cadres chirurgicaux, une photo désarmante de beauté. Malgré tout, l’ampleur de ses précédents films n’est pas au rendez-vous. Quelque chose ne prend pas, peut-être au niveau du scénario, aucune emphase pour ses personnages et l’intérêt (secondaire) de l’intrigue. Qui devient accessoire. Alors oui, on reste soufflé par un tel niveau de technicité cinématographique. C’est déjà ça.