Après le film de sabre et le mélo, Jia Zhang-ke s’attaque cette fois au film noir, réinvente le genre et impressionne.
Cannes 2018 (compétition). C’était notre numéro un sur notre liste des 100 films pour Cannes publiée il y a quelques semaines. Quand on sait qu’il succédait à The Square (Ruben Östlund) tout en haut de notre classement en 2017, on lui souhaite la même réussite le 19 mai prochain au soir du palmarès.
Jia Zhang-ke poursuit son étude de la Chine post-capitaliste et prend cette fois pour prétexte l’histoire d’un amour compliqué d’un caïd de la pègre locale avec sa femme sacrificielle. Cette épouse est une nouvelle fois interprétée par Zhao Tao, femme et muse du réalisateur, qui livre une performance fabuleuse. Une Meryl Streep low profile à la fois puissante et fragilisée à tous les plans.
En attendant la Palme, le cinéaste chinois auteur de quelques chefs-oeuvre notoires depuis une vingtaine d’année (Still Life, A Touch of Sin), commet avec Les Éternels un film-somme. Catharsis de son oeuvre, le film finira de convaincre les fidèles de Jia qu’il s’installe durablement au panthéon des auteurs actuels mais laissera sans doute les autres un peu de côté tant le film ne se donne pas facilement.
Comme dans Au-delà des montagnes, Les Éternels se découvrent en trois parties. Trois époques récentes espacées de quelques années depuis 2001 date à laquelle le film démarre au sein de la pègre de Datong, dans la province de Shanxi, au moment de la montée de la fin de la suprématie du couple Bin et Qiao face au déchaînement et la rébellion de jeunes voyous sans codes d’honneur. La fin de cette partie verra d’ailleurs l’une des scènes les plus prodigieuses que l’on verra cette année à Cannes dans une violence soudaine et suffocante. Un bijou de mise en scène et de rythme.
Passé ce premier tiers tout au fait de leur pouvoir., le film se poursuit avec des personnages broyés par le système et les codes qu’ils ont eux-mêmes mis en place, de la prison à la déchéance physique comme cette Chine perdue inexorablement en fuite vers le dollar américain et la concurrence sans fois ni loi.
On retrouve ici quelques ponts avec les précédents films de JZK : sa région natale Shanxi dont il vient de se faire élire député, ou ses obsessions visuelles urbanistiques dans des plans à couper le souflle sur des immeubles sortis de nulle part mis en lumière par le chef opérateur français Eric Gautier (Chéreau, Assayas).
Enfin, on se souvient de l’hymne Go West des Pet Shop Boys qui avait retenti à la fin de Au-delà des montagnes. Cette fois c’est YMCA des Village People qui irrigue tout du long l’humeur et les ambiances des salles de jeux.