La compétition 2019 d’un niveau exceptionnel restait encore orpheline d’un grand geste cinématographique clivant et sauvage. Mektoub my love : Intermezzo est arrivé à point nommé pour réparer cet oubli.
Cannes 2019 (compétition). À l’instar de La Grande Bouffe, Irréversible, The Brown Bunny ou Post Tenebras Lux, la projection du nouveau film d’Abdellatif Kechiche est directement entrée dans la légende des projections les plus « scandaleuses » du Festival de Cannes. Des rangées entières en fuite, des réactions épidermiques à la sortie de festivaliers outrés d’avoir « été pris en otage », « alors si c’est ça le cinéma français… », et une bataille d’Hernani sur Twitter entre les pros et les anti Intermezzo.
Très concrètement, nous sommes deux ans après le Canto Uno, à l’été 1994. La même bande est là, Toni, Ophélie, Amin, et les autres et une petite nouvelle, Marie la parisienne.
Annoncé d’une durée de 4h, le montage de Mektoub my love : Intermezzo présenté en compétition a été amputé de 30 minutes. Mais le ton a changé. Alors que Kechiche s’apesantissait sur ses personnages, leurs désirs, leurs regards, avec un goût estival sans gravité, dans Intermezzo l’élan est plus direct et obsessionnel. Après une séquence d’introduction sur la plage de vingt bonnes minutes qui nous rappelaient quelques enjeux « à la Canto Uno », la suite du film (3 heures donc) ne quittera pas la boîte de nuit (en sortant de la projection, on a croisé Abdel Kechiche qui laissait entendre qu’il trouvait la musique « un peu trop forte »), seulement ponctuée par une scène sauvage et insensée de sexe cru de plus de vingt minutes.
Kechiche n’a pas fait les choses à moitié mais avait prévenu son monde. Il ne fallait pas s’attendre au Canto Due (qui viendra « formellement plus proche du Canto Uno »). Avec cet Intermezzo, Kechiche a fait le choix d’un « intermède libre », une expérience de cinéma hallucinatoire, histoire de sanctifier les corps dans un ballet de sens, de sueurs et de désirs ininterrompu jusqu’à épuisement. Un tourbillon gestuel, sonore et charnel qui n’a peur de rien ni personne. Les hommes sont couards, basiques, sans reliefs alors que les personnages de femmes sont glorifiées, regardées, désirées, et tellement belles.
Cette fascination à l’extrême pour ses actrices (elles sont véritablement sensationnelles à commencer par Ophélie Bau) mêlée de fétichisme de « derrières » les fagots, Kechiche a bon dos en conférence de presse de faire le parallèle avec les statues parisiennes « je filme les fesses en contre-plongée comme je peux voir dans la même perspective les corps des statues dans les rues de Paris », clive(ra) une grande partie des spectateurs, au mieux mal à l’aise au pire dans un état de rejet et de dégoût épidermique.
Alors oui le film ne sera certainement pas au palmarès. Alors oui le film ne sortira certainement jamais en l’état dans les salles. On se demande même si l’opiniâtreté jusque-boutiste de Kechiche ne va pas lui empêcher de retrouver les moyens de continuer à filmer cette « Comédie humaine » sétoise. De point de vue tout personnel, c’est pour ce genre d’oeuvre au-delà de la normale que l’on fait le déplacement à Cannes, celle qui démontre à quel point les cinéastes ont encore la capacité d’amener le cinéma dans des contrées encore inexplorées.