L’heure du bilan a sonné. Cannes 2016 se prépare à rendre son verdict ce soir avec le Palmarès du jury de George Miller et consorts.
Compétition, dernière ligne droite. Difficile de commencer sa dernière chronique sur la catégorie reine sans parler de la catastrophe The Last Face, le dernier film de Sean Penn. De mémoire de festivalier rarement on aura connu pareille hallucination. Catastrophe industrielle, histoire à l’eau de rose sous couvert de mission humanitaire au Libéria, clip boursouflé pour l’ONG Médecins du Monde, distribution lamentable, le film est une lamentation de près de 2h. Musique « africaine » signée du pompier Hans Zimmer, Jean Reno en « Dr Love »,… rien mais alors rien ne nous est épargné. La farce est telle que les rires fusaient allègrement après certaines répliques : Charlize Theron à son beau Javier Bardem « Ce n’est pas parce que tu es rentré en moi, que tu me connais vraiment » (véridique). On en passe. Dingue.
À l’autre bout de l’échiquier, Elle de Paul Verhoeven. Variation en terre française du réalisateur Total Recall ou Starship Troopers. Virginie Efira, Laurent Laffite, Charles Berling, Anne Consigny : avec son casting de film d’auteur de seconde zone, Verhoeven perfore de l’intérieur ce genre bien hexagonal comme il l’avait en son temps avec Hollywood. En adaptant un roman de Philippe Djian et en confiant à Isabelle Huppert (dans une de ses prestations les plus hallucinatoires vues depuis longtemps) le rôle-titre, il réussit le coup parfait. Troublant, passionnant et même très drôle, Elle est de ces films qui surgissent en fin de Festival pour emporter avec lui l’enthousiasme de festivaliers sur les rotules. Sur le papier, qui aurait pu croire que Paul Verhoeven recevrait un tel accueil, alors que des Almodovar ou des Dardenne subissaient une célébration limite polie ? Elle ferait une bien belle Palme 2016. Pour clore le dossier Compétition, nous avons vu The Neon Demon de Nicolas Winding Refn (Drive), film le plus stylé du Festival 2016, et sa musique d’enfer signée Cliff Martinez, avec pour cadre un Los Angeles qui n’est pas sans rappeler Mulholland Drive de Lynch. Le geste de l’un des meilleurs faiseurs du cinéma actuel. Quoiqu’un peu vain, quelques scènes de The Neon Demon feront partie des images qui nous resteront de Cannes 2016. Un long clip porn-pop-lesbo-cannibalo-érotique et sanglant et une scène finale qui pourrait bien plaire à l’ami George Miller.
Au rayon des bons films de compétition sans vraie surprise, Baccalauréat de Cristian Mungiu et Le Client d’Asghar Farhadi. Les deux auteurs ne renouvellent pas leur genre, qui les avaient fait rois en leur temps (Cannes pour le roumain, Berlin pour l’iranien), mais quelle intelligence. Foisonnant de trouvaille et d’inventivité dans sa mise en scène (Mungiu), ou scénario implacable à la tension de ces petits riens (Farhadi), ils réussissent ce qu’ils entreprennent. Même si l’on a un vrai appétit pour Baccalauréat, le Farhadi subit un peu les désagréments d’une certaine systématisation dans sa construction narrative, surtout quand on a bien en tête Une Séparation ou Le Passé. Finissons-en avec la course à la Palme d’or en signalant un film qui aurait pu (dû ?) y participer : La Mort de Louis XIV du catalan Albert Serra. Une merveille reléguée dans les anonymes séances spéciales. Comment a-t-on pu ne pas upgrader cette allégorie versaillaise avec le mythique Jean-Pierre Léaud en roi soleil. La chronique de la chute, sa prestation n’est pas sans rappeler ce qu’avait pu faire en son temps Michel Bouquet sur les planches dans Le Roi se meurt de Ionesco. Rarement nous aurons eu l’occasion pendant ce Festival de goûter une telle langue, dans un tel écrin. Toute la folie de l’iconoclaste Albert Serra (Honor de cavalleria, Le Chant des oiseaux) au service d’un grand tableau de maître. Avec aussi l’excellent Patrick d’Assumçao (L’Inconnu du lac) en parfait Fagon.
Un Certain Regard et Quinzaine aux abonnés absents. Celles que l’on surnomme les anti-chambres de la Compétition ont déjà délivré leurs (semblants) de Palmarès. L’occasion d’un coup d’oeil sur deux sélections très décevantes cette année. Là où la Quinzaine s’offrait l’an dernier parmi les meilleurs films français 2015 (Desplechin, Faucon, Garrel), une suprématie confirmait quelques mois plus aux César, le cru 2016 est une À la Quinzaine, les labels partenaires (SACD et Europa Cinemas notamment) ont choisi de distinguer les films de Solveig Anspach, Sacha Wolff (l’excellent Mercenaires dont on parlé dans notre dernière chronique) et Houda Benyamina avec Divines, l’une des plus belles baudruches de ce Festival : portée aux nues par toute une frange de la presse française.
Porté aux nues par toute une frange de la presse française, Divines ne manque pas de souffle mais ne s’évite pas les affres du sempiternel film de banlieue. En reprenant des tics récents pour aborder le sujet -on regarde ça du côté des filles comme dans Bande de filles- et malgré une première demi-heure percutante (le générique façon story Snapchat marche à plein à ce niveau-là), le film se prend les pieds dans le tapis de ses clichés de scénario (l’appât sexy pour approcher le caïd, la danse comme exutoire et métaphore du dépassement de soi, l’épilogue façon Scarface suedé) et sont autant de limites rédhibitoires.
De mémoire de festivalier, nous n’avons pas souvenir d’un niveau si faible à Un Certain Regard ou Quinzaine des Réalisateurs : pas un seul film ou presque n’aurait pu prétendre à une sélection en Compétition. Quand l’an dernier des titres de Kiyoshi Kurosawa, Brillante Mendoza, Philippe Garrel, Arnaud Desplechin, Philippe Faucon, Apichatpong Weerasethakul, tous présents dans ces (sous) sections auraient pu y prétendre.