Premier retour à chaud sur une édition 2021 qui se voulait historique
L’attente était fortissimo c’est peu de le dire. Encore incertain en début d’année, le 74ème Festival de Cannes a donc bien eu lieu en 2021 en juillet et « Tout s’est bien passé » si l’on en croit la maxime entendue près de l’Etat-major cannois et même par la bouche de plusieurs personnages de films en compétition cette année (Lingui de Mahamat-Saleh Haroun et Tout s’est bien passé de François Ozon).
Et force est de constater que le bilan de l’organisation force le respect. Des équipes venues des quatre coins du monde. Aucun cluster annoncé voir suspecté en dépit d’étonnants bruissements en coulisses au début du festival dans certaines équipes de film). Peu (voire quasi pas) de longues files d’attentes aux abords du palais et des salles de projection. Et la grande réussite qui fera date de la dématérialisation de la billetterie toutes sections confondues.
Il faut dire que les quelques 20 000 accrédités 2021 (en recul de 50% par rapport à 2019) ont permis de tester grandeur nature et sans trop d’encombres (les serveurs ont surchauffé les deux premiers jours) ce nouveau système. Fini les heures d’attente à espérer rentrer en salle. On regretterait presque un peu cet adrénaline usuel de nos Cannes d’antan. Un enthousiasme que je serais tenté de minorer tant il faisait partie du folklore de voir ces hordes de jeunes cinéphiles en herbe qui à toute heure des séances dans la grande salle Lumière quémander des invitations aux abords du palais.
Une sélection officielle exsangue
Si la diminution du nombre d’accrédités constatée a permis d’absorber une affluence qui faisait peur autant que le variant delta se propageait en Europe au début de cet été 2021, cette concentration des observateurs n’a pas eu que des effets bénéfiques.
Même s’il était facile d’imaginer que la cure d’austérité 2020 allait donner des idées au comité de l’Officielle pour recouvrer le lustre d’antan, j’étais loin de voir poindre une sélection Climat, une nouveauté Cannes Première avec des grands noms sans grands films (mis à part l’imposant Serre moi fort de Mathieu Amalric) qui obligerait la partie Un Certain Regard à voir son nombre de séances amoindri comme peau de chagrin à Debussy.
En parallèles, des surprises rares et peu remarquées
Une telle profusion en sélection, ajoutée à cela les 24 (!) films en compétition sans parler des séances spéciales et du hors compète, qu’il n’était pas rare de voir des équipes de grands médias ne pas quitter le palais de tout le festival. Une situation inédite qui a joué des tours en parallèles (ACID, Semaine de la Critique, Quinzaine des Réalisateurs) avec des salles particulièrement vides si les films présentés n’étaient ni français ni avec un auteur de renom.
Difficile pour quelques belles révélations de se faire de la place dans ce contexte compliqué. Je pense à quelques pépites : I Comete (ACID) de Pascal Tagnati, La Légende du Roi Crabe (Quinzaine) de Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, Night of Knowing Nothing (Quinzaine) de Payal Kapadia, Journal de Tûoa (Quinzaine) de Maureen Fazendeiro et Miguel Gomes, et deux films français à la Semaine Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet et Bruno Reidal de Vincent Le Port.
Et d’autres films qu’il ne faudra pas manquer en salle dans l’année qui vient, Oranges Sanguines (hors compétition) de Jean-Christophe Meurisse qui a bien remué dans une séance de minuit incandescente, Great Freedom (Un Certain Regard) de Sebastian Meise, Carnets noirs (séance spéciale) de Shlomi Elkabetz, Onoda (Un Certain Regard) de Arthur Harari.
Compétition XXL, Chocs XXS
Venons-en au gros morceau. Il en fallait de l’organisation – merci la grille Wask ndlr – pour pouvoir suivre tous les films de la compétition. Au détriment forcément du reste mais quand on est à Cannes tout ou presque tourne autout du « Palme ou pas Palme ». L’excitation et la frustration de rater LE film qu’il fallait ABSOLUMENT voir et « qui serait sûr au palmarès ».
Au fil des jours, peu de moments exaltants malheureusement, deux ou trois films qui sortent du lot, Annette de Leos Carax, Drive My Car de Leos Carax et Le Genou d’Ahed de Nadav Lapid, quelques (heureuses) surprises venues de réalisateurs qui ont (bien) joué avec leurs habitudes, La Fracture de Catherine Corsini, Les Olympiades de Jacques Audiard et France de Bruno Dumont, une polémique toute moisie celle de Pio Marmaï qui reprenait à son compte le discours de son personnages gilet jaune dans le Corsini (« oui j’irais bien pêter la gueule de Macron à l’Elysée »), un bon Lafosse avec Les Intranquilles avec un Damien Bonnard césarisable en diable, un Trier solide avec Julie (en 12 chapitres). Voilà tout et de grosses déceptions : Lingui de Mahamat-Saleh Haroun, Bergman Island de Mia Hanse-Løve, Compartment n°6 de Juho Kuosmanen, La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov, The French Dispatch de Wes Anderson, Un héros de Asghar Farhadi.
Reste le film qui symbolisera certainement cette édition 2021. Titane de Julia Ducournau. Le seul geste de cinéma qui ait pu résonner au-delà de la Croisette dans un mois de juillet sous-médiatisé. Un film avec tous les défauts du monde, des trous d’air scénaristiques béants, mais qui dégage à lui seul l’énergie et le goût du risque qui font ce pourquoi on s’assoit dans une salle pour se laisser porter. Titane comme un symbole de cette édition du monde d’après, réalisée par une femme qui n’en est qu’à son deuxième film. Costaude.