La saison des « 100 films pour Cannes » reprend ses aises au printemps à quelques jours de la grand-messe « Officielle » du 14 avril
À peine rangés les derniers cartons de l’édition 2021, le grand barnum cannois est prêt à reprendre vie et ses aises au mois de mai, trois ans après la dernière édition printanière, une édition « éclatante » avec le sacre planétaire de Parasite de Bong Joon-ho, comme un crépuscule des temps heureux.
Même si d’aucuns argueront du fait que l’édition juillettiste l’an dernier s’est très bien passée – moins de monde, moins d’attente, billetterie dématérialisée -, beaucoup de questions se posent avant l’édition 2022 qui bouclera une séquence festivalière d’une rare intensité (Cannes, Venise et Berlin en à peine 7 mois de juillet 2021 à février 2022).
Toutes les équipes sont sorties exsangues au soir du 17 juillet. Transpirantes ou enrhumées par la clim, le report l’été dernier a permis de regoûter aux joies festivalières, mais la couverture médiatique de l’événement ne fut en rien celui des autres années.
Rédactions « saisonnières » en vacance, grilles estivales tv/radio beaucoup moins disponibles pour parler de Cannes, la concurrence des autres événements estivaux (Festival d’Avignon, rencontres de la photo d’Arles, Tour de France et la fin de l’Euro 2020), le replacement au mois de mai redonnera des couleurs vives à la médiatisation cannoise à n’en pas douter.
Le passage en été aura aussi fait souffrir la plupart des distributeurs. Ceux qui avaient voulu jouer le jeu de sortir leurs pépites de Cannes 2021 au même moment. Si on pense à Annette, Journal de Tûoa, Benedetta ou Bergman Island, c’est surtout à Onoda auquel on pense fort et qui a sans doute le plus souffert de sa sortie fin juillet dans un contexte de passe sanitaire drastique et un box-office encore au point mort.
D’un point de vue sanitaire, les questions restent entières pour l’édition 2022 même si la billetterie dématérialisée lancée en 2021 à grand renfort devrait devenir la norme. Alors que les Festival 2021 fut l’un des premiers événements « grandeur nature » à éprouver les contrôles de passe à un niveau industriel et qu’aucune grande frayeur épidémique ne soit vraiment venu endormir les festivités (quelques équipes ont dû subir quelques tests positifs qui ont fait frémir en secret les autorités), qu’en sera-t-il en mai 2022 (nombre d’équipes, passes, contrôles, pays représentés) si l’on met à part l’invasion russe en Ukraine qui vient percuter le monde et pas uniquement Cannes. Rien ne peut présager de ce à quoi ressemblera le « vrai » Festival du monde d’après ?
2022, retour en grâce des plateformes ?
Les tergiversations autour de la succession de Pierre Lescure terminées, avec l’officialisation de la nomination de Iris Knobloch (ex Warner) à la présidence du Festival pour les éditions 2023, 2024 et 2025, la valse des supputations autour d’un « retour » des plateformes en sélection – voire même en compétition – est repartie de plus belle.
Assisterons-nous à un Conseil d’Administration en mode psychodrame au petit matin du 14 avril ? Avec un passage en force pour réintégrer un quota (?) de films « non pourvus d’un distributeur salle en France » éligible en compétition ? Tout est possible et encore envisageable. L’occasion de supputer sur un fleuron Netflix dans le top 2022 pour la compétition. La dernière incursion de la firme de Ted Sarandos pour la lutte à la palme d’or remonte à 2017 avec Okja et The Meyerowitz Stories. Et éviter ainsi que certains grand titres by-passent Cannes pour privilégier la trajectoire liondorisable > oscarisé….
D’un manière générale, la tendance 2022 ressemblerait plutôt à un régime de vache maigre. Après un choix pléthorique en 2021 avec un cheptel de productions disponible de quasi 18 mois, la majorité des vendeurs présentent des line-up particulièrement rétrécis cette année et réfléchissent à deux fois avant de choisir Cannes comme point d’ancrage. Le trop plein de films en sélection officielle l’an dernier et le peu de visibilité en parallèles mis à part à la Semaine posent toujours question.
Le format réduit de la Semaine séduit de plus en plus
Le retentissement famélique voire inexistant de Sundance-Rotterdam-Berlin en début d’année ne laisse rien présager de bon pour le marché.
Et pas mal de vendeurs (surtout de films français) poussent au portillon d’une sélection resserrée du type Semaine de la Critique, avec en souvenir les jolies trajetoires de films jusqu’en salle comme Rien à foutre, Bruno Reidal et Les Amours d’Anaïs. La dernière année de règne de Paolo Moretti à la Quinzaine n’arrange rien dans le manque de visibilité globale de la situation. Choix plus radicaux encore ? Cet attrait pour des sélections plus resserrées incitera-t-il l’Officielle à revoir leur voilure à la baisse ? Beaucoup de questions, peu de réponses franches.
Ceylan, Anderson et Iñarritu loin de Cannes
Pour couronner le tout quelques grands noms passeront leur chemin de l’édition 2022. Nuri Bilge Ceylan pas prêt du tout (comme Kaouther Ben Hania), les deux prochains très attendus de Miguel Gomes (Sauvagerie et Grand Tour) non plus, tout comme Conan la barbare de Mandico, Killers of the Flower Moon de Scorsese, Passages de Ira Sachs, La Colline parfumée de Abderrahmane Sissako, Our Apprenticeship de Hamaguchi, le 2e volet des Monts Fuchun de Gu Xiaogang, Bones and All de Luca Guadagnino, Eureka de Lisandro Alonso, sans parler de Luxembourg de Myroslav Slaboshpytskiy (The Tribe) attendu depuis des années et qui ressemble de plus en plus à une arlésienne du type « Dau »…
Je passerai sur Mektoub My Love : Canto Due (existera-t-il un jour ?), The Way of the Wind de Terrence Malick lancé dans une entreprise de post-production au long cours, tout comme Wes Anderson (Asteroid City) et Iñarritu (Bardo) qui n’auraient plus Cannes en ligne de mire.
Pour pallier ces absences, l’Officielle se pose clairement comme un candidat sérieux au rôle de « défricheur de talents » en chef et la lutte fait rage sur les premiers et deuxièmes films entre toutes les sélections.
Malgré ce préambule en mode mineur légèrement dépressif, on reste néanmoins optimiste avec la belle moisson des 100 films qui arrivent et son lot de surprises, de grands noms et de révélations en tout genre prêts à en découdre. Avec un enjeu de taille à scruter : une femme réalisatrice empochera-t-elle la palme d’or pour poursuivre une passe de quatre historique (les dernières éditions de Cannes, Venise et Berlin ont toutes vu triompher une cinéaste depuis juillet dernier) ?
Les 100 films pour Cannes 2022, comment ça marche ?
Du 3 au 7 avril, retrouvez sur wask.fr un nouvel épisode chaque jour avec 20 films dévoilés quotidiennement du numéro 100 au numéro 1.
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Thomas Gastaldi (avril 2022)