Entretien avec Julien Rejl, nouveau délégué général de la Quinzaine
Il est arrivé un peu par surprise à la tête de la Quinzaine au sortir de l’édition 2022. Une Quinzaine renouvelée, renommée (celle des « Cinéastes ») et qui rentre dans un nouveau cycle. Un moment parfait pour prendre le temps de découvrir qui est ce nouveau délégué général, son rapport personnel avec le Festival, ses attentes, sa sélection et quelques souvenirs bien placés. Entretien avec Julien Rejl.
C’est ta première année au poste de délégué général de la Quinzaine des Cinéastes. Quel est ton état d’esprit à deux jours de l’ouverture ?
Je n’ai qu’une hâte : accueillir et faire la rencontre des cinéastes de la sélection. Excité également de sentir les premières réactions du public. Et puis… imagine un peu : recevoir Tarantino pour une première édition, cinéaste dont les films et l’amour du cinéma m’ont porté depuis l’adolescence, c’est une immense joie mais ça me met la pression !
Pour beaucoup dans le métier, Cannes a forgé (ou précisé) une certaine idée de sa cinéphilie et de son expérience personnelle avec les films, les grands auteurs, les nouveaux talents et l’industrie dans son ensemble. Quel est ton rapport avec Cannes ?
Ma première fois à Cannes, c’était en 2003. Grâce à Visions Sociales, la manifestation organisée par la CCAS à La Napoule, qui m’a accrédité « Cannes Cinéphiles » pendant 5 ans. C’est pendant cette période que j’ai notamment découvert le cinéma d’Albert Serra. Découverte qui a été déterminante pour mes débuts dans la profession. C’est à l’occasion d’une discussion autour de son film Le Chant des oiseaux (Quinzaine 2008 ndlr) qu’on m’a présenté cette nouvelle maison d’édition, Capricci, avec qui j’allais collaborer pendant dix ans… en accompagnant les films de Serra.
Une projection cannoise dont le souvenir te rappelle à quel point ce festival est unique ?
[Sans beaucoup d’hésitation] The Brown Bunny (en compétition en 2003 ndlr) de Vincent Gallo. Ma première fois à Cannes. Une époque où les films pouvaient susciter de vives réactions, où les spectateurs s’agitaient encore beaucoup en salle, n’hésitant pas à siffler, conspuer, injurier. C’était rude pour le film (que j’avais aimé pour ma part), voire carrément irrespectueux. Mais les gens avaient de l’humour, donc c’était joyeux malgré tout.
Après la conférence de presse, tu as marqué les esprits et réaffirmé l’esprit d’initiative et de défricheur que tu souhaitais amplifier à la tête de la sélection. En quoi cette Quinzaine des Cinéastes 2023 porte en elle l’ADN de la Quinzaine ?
L’ADN de la Quinzaine est de privilégier la découverte, à savoir partir à la recherche des écritures cinématographiques les plus singulières et inattendues. Les films de la sélection 2023 sont des œuvres libres réalisées par des cinéastes qui cherchent à inventer leur propre langue. Ce ne sont pas des films à sujet ou des films à message. En restant fidèles à leur singularité, par les voies du réalisme ou de l’imaginaire, ces auteurs sont en prise directe avec le monde.
Il n’y a pas de parcours type pour devenir un (bon) sélectionneur en festival, mais il y a finalement peu de profils comme le tien issu de la distribution. En quoi ce parcours te complique la tâche ou te facilite la vie de délégué général ?
J’ai représenté des cinéastes et des producteurs, je comprends donc leurs attentes, leur inquiétude, leurs enjeux. Au cours du processus de sélection, j’essaie de me positionner vite sur les films, dans un sens comme dans l’autre, pour donner des indicateurs clairs à la profession. Par ailleurs, j’essaie d’anticiper la façon dont un film peut trouver une place en salle suite à sa présentation à Cannes. D’où ce nouvel événement, la Quinzaine en salle, pour lequel ma connaissance des salles et des exploitants a été précieuse. Pour le reste, faisons plutôt le bilan dans quelques semaines !
Quel regard portes-tu sur les listes de pronostics cannois ? En toute sincérité [rires].
J’en suis le premier client ! Jusqu’à présent, ils dessinaient pour moi un horizon d’attente, en tant que spectateur et en tant qu’acheteur à l’affût des films sans distributeur. Aujourd’hui, c’est un jeu qui m’amuse beaucoup. Moins j’y trouve de films qui ont enthousiasmé le comité, plus je suis content. En tous cas, ils sont précieux car ils nous montrent ce que l’industrie attend. Ce sont davantage les pronostics comme ceux de Wask qui proposent une cartographie de la production mondiale, bien plus que la sélection de la Quinzaine qui essaie d’emprunter des chemins de traverse.
Je travaille à inventorier des milliers de projets pour en exhumer notamment la Liste des 100 films pour Cannes. Malgré cela, presque la moitié des films de la Quinzaine 2023 sont passés entre les mailles de mon filet pourtant épais ! Je pense aux américains et aux premiers films asiatiques notamment. En quoi ces projets “sous le radar” ont leur place dans ta première sélection ? Et surout de quelle manière sont-ils arrivés jusqu’à toi ?
En grande majorité, ils arrivent à nous par leurs propres moyens, de manière silencieuse et discrète. Chaque jour, vingt à trente films apparaissent sur notre base de données, inscrits sous forme de liens. Nous nous répartissons de manière équitable les films reçus, sans qu’aucun sélectionneur ne soit spécialisé dans un genre ou un territoire – j’y tiens ! Ce n’est pas pour autant que les cinéastes nous sont totalement inconnus. Les films que nous avons sélectionnés ont leur place à la Quinzaine car « sous les radars » signifie le plus souvent « non formatés ». J’ai remarqué également, après coup, que nombre de ces films étaient des films fauchés. Ce qui pourrait expliquer pourquoi ils sont passés inaperçus. Je trouve rassurant et même enthousiasmant que les propositions qui nous ont conquis soient des films qui ont été produits avec peau de chagrin. La créativité est peut-être d’autant plus forte et nécessaire dans ces conditions.
Je ne te demanderai pas le film dont tu es le plus fier d’avoir pu convaincre ou d’être allée chercher. Mais quel est celui dont tu as le plus tôt su qu’il ferait partie de ta première Quinzaine ? Et en quoi il a pu donner le ton de la sélection 2023 ?
Le premier film que j’ai sélectionné… je l’ai perdu ! Je ne le nommerai donc pas mais il a en quelque sorte brillé par son absence. Il m’a permis de comprendre qu’aucune pierre n’est jamais véritablement posée, que la sélection demeure une suite de paris jusqu’à la toute fin. Le premier qui a dit « oui », c’est le film The Sweet East (de Sean Price Williams). Une proposition complètement indépendante et impertinente venue des Etats-Unis, ça motive toujours les troupes.
Pour préparer cet échange, on a évoqué ensemble le rapport que Cannes entretient avec les cinéphiles, le “vrai” public que l’on croise sur la Croisette. Comment vois-tu l’évolution et sa place à Cannes pendant le Festival ?
Je ne peux pas répondre pour le Festival dans sa globalité. Mais le vrai public, je sais qu’il vient à la Quinzaine. Tout simplement car nous sommes la seule sélection à vendre des tickets. Nous organisons des débats avec les cinéastes à l’issue des séances du matin pendant lesquels nous donnons la parole aux spectateurs. La Quinzaine est donc un véritable espace de rencontre entre les œuvres, les auteurs et leurs spectateurs. Et si les planètes s’alignent correctement, on prévoit de faire encore plus participer le public l’année prochaine.
Tu as déjà annoncé le projet de « La Quinzaine en salle » au mois de juin et le lien que tu souhaites encore renforcer avec le réseau de salles. De manière plus large, ce serait quoi pour toi une Quinzaine 2023 réussie ?
Une édition 2023 réussie, ce serait que les cinéastes invités se sentent chez eux à la Quinzaine, dans un esprit cinéphile et convivial ; ce serait que les films fassent débat, qu’ils divisent, qu’ils agitent, qu’ils ne laissent pas indifférents ; ce serait que les spectateurs viennent découvrir les films en salle en juin et qu’ils se disent « vivement l’année prochaine ». Ah, et évidemment, que la discussion avec Tarantino reste comme un des temps les plus forts de la Quinzaine.
Si on se retrouve dans 1 an pour un nouvel échange, quel(lle)s chantiers et évolutions souhaiterais-tu avoir mis sur pied autour de la Quinzaine ?
J’ai déjà du pain sur la planche cette année, et peu de moyens pour réaliser tous mes projets. Voyons déjà ce que ça va donner.
(Propos recueillis les 9 et 10 mai)