Compétition : après le (classique) nanar avec Sean Penn, Ceylan, Kore-eda, Wang Bing et Justine Triet en masterclass
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ANATOMIE D’UNE CHUTE
Justine Triet (france) Compétition
C’était le film français le plus haut classé des 100 Films pour Cannes 2023, Anatomie d’une chute, le quatrième long métrage de Justine Triet (La Bataille de Solférino, Victoria, Sybel). Coécrit avec son complice Arthur Harari, le scénario se déploie lentement et méticuleusement autour d’une autopsie d’un couple. Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple. De la même manière que l’on ferait face à un Bergman, le spectateur progresse lentement et se régale à essayer de déjouer la vérité, s’il en existe une, sur la vie et la chute de cette cellule familiale en état de sidération. Jamais, la cinéaste n’avait encore écrit un film en pensant obstinée à l’actrice principale à qui elle souhaitait confier le rôle. Déjà saisissante dans A Zone of Interest, l’Allemande Sandra Hüller vampirise l’écran une nouvelle fois, tout aussi aimante qu’inquiétante. Plus trop la peine de chercher notre reine de Cannes, si le palmarès passe à côté de ses prestations, ce ne sera que pour mieux récompenser ces deux films par de très gros prix samedi soir inchallah.
cannes 2023 // compétition // le pacte // sortie france le 23 août 2023
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MONSTER
Hirokazu Kore-eda (japon) Compétition
C’est le premier film depuis 1995 que le Japonais réalise sans en avoir écrit lui-même le scénario (ici Yuji Sakamoto), Hirokazu Kore-eda revient donc au pays après ses escapades en France (La Vérité) et en Corée du Sud (Les bonnes étoiles). Une première depuis sa palme d’or il y a 5 ans avec Une affaire de famille. Lorsque son jeune fils Minato commence à se comporter bizarrement, sa mère sent que quelque chose ne va pas. Découvrant qu’un professeur est responsable, elle fait irruption dans l’école, exigeant de savoir ce qui se passe. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité émerge peu à peu. Les points de vue se juxtaposent pour s’opposer, se répondre, et nous perdre pour mieux nous attraper au col de l’émotion pure dans un climax final hallucinatoire, mis en musique avec sa dernière composition avant sa mort par Ryuichi Sakamoto.
cannes 2023 // compétition // le pacte // prochainement en salle
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JEUNESSE (LE PRINTEMPS)
Wang Bing (chine) Compétition
Cannes c’est souvent cette belle ironie d’enchaîner dans la même salle Lumière, un documentaire chinois de plus de 200 minutes (premier épisode d’une oeuvre encore plus ample) et le dernier volet d’une saga hollywoodienne qui a fait espérer des carrières d’archéologue-aventurier à tous les enfants de la Terre. Je veux bien sûr parler d’Indiana Jones et le Cadran de la destinée, présenté donc le même après-midi que Jeunesse (le printemps) du cinéaste chinois Wang Bing. L’immense documentariste chinois, qui présente 2 films cette année en sélection officielle a planté sa caméra à Zhili, à 150 km de Shanghai. Dans cette cité dédiée à la confection textile, les jeunes affluent de toutes les régions rurales traversées par le fleuve Yangtsé. Ils ont 20 ans, partagent les dortoirs, mangent dans les coursives. Ils travaillent sans relâche pour pouvoir un jour élever un enfant, s’acheter une maison ou monter leur propre atelier. Entre eux, les amitiés et les liaisons amoureuses se nouent et se dénouent au gré des saisons, des faillites et des pressions familiales. Tourné à partir de 2014 (jusqu’en 2019, Wang Bing comprend dès 2015 qu’il voudra situer son épicentre à Zhili et rayonner à partir de là. « Je voulais aussi accompagner mes personnages dans leur retour à leur domicile, parfois pour les filmer, parfois juste pour prendre des vacances avec eux, ce qui impliquait de remonter le Yangtsé parfois sur mille ou deux mille kilomètres. Ces voyages m’ont vraiment aidé à comprendre la vie du bassin du Yangtsé et des gens qui habitent tout le long du fleuve. Si la fabrication de ce film peut sembler très longue, ce n’est pas seulement parce que j’ai beaucoup filmé, mais aussi parce qu’il m’a fallu du temps pour comprendre la mentalité et le mode de vie d’une région qui m’était étrangère. » Le film se chapitre au fil des ateliers visités, des rencontres effectuées et d’une complicité qui s’installe avec jeunesse au travail qui se fait la cour, vit ensemble et s’en va au turbin de 8h à 23h. Un voyage ennivrant fait d’un flot de gestes et de rires au son entêtant des machines qui tournent à plein. Colossal.
cannes 2023 // compétition // les acacias // prochainement en salle
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LES HERBES SÈCHES
Nuri Bilge Ceylan (turquie) Compétition
La nouvelle merveille de Nuri Bilge Ceylan est arrivée. Une joie non feinte de repartir en Anatolie avec Les Herbes sèches. Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie. Alors qu’il attend depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui. Comme ça, ça sonne comme du Ceylan et à y voir de plus près on y est en plein. « Nous avons essayé de traiter et d’interpréter les différences qu’il peut y avoir entre celui qui reçoit et celui qui est de passage ; les répercussions psychologiques de se sentir loin de tout, étranger et exclu ; le difficile combat quotidien que doivent mener les habitants de cette région, ainsi que les dynamiques de la trame géographique, ethnique ou sociale qui les entoure ». Le résultat de plus de 3 heures (une moyenne ceylanienne) se permet même dans le dernier tiers une digression formelle après une scène de séduction dantesque. Digression à laquelle le cinéaste turc ne nous avait pas habitué comme un pied de nez au sérieux qui entoure tous ses projets. Sur ses 9 longs métrages, 7 ont eu les honneurs de la (grande) compétition cannoise avec son lot de récompenses jusqu’à la palme pour Winter Sleep. À samedi donc…
cannes 2023 // compétition // memento // sortie france le 12 juillet