La trentaine de films dépassée, retour sur 5 premiers coups de coeur, sans euphorie, mais grand plaisir
LES DAMNÉS
Roberto Minervini (Ita) Un Certain Regard
1862, c’est la ruée vers l’or dans les territoires les plus reculés au fin fond du Montana au milieu du chaos de la guerre de Sécession. Une compagnie de volontaires de l’armée des États-Unis est envoyée sur place pour assurer la sécurité et le maintien de l’ordre. C’est cette virée sauvage qui sert de cadre au retour à la fiction du grand Roberto Minervini (Stop The Founding Heart, The Other Side) passé maître dans l’art documentaire et l’exploration des âmes de l’histoire des Etats-Unis. Les Damnés ou la recherche d’une petite unité de Confédérés ennemis est un éblouissement de tous les instants. Sensoriel et malickien, le film s’impose comme un classique instantané, incroyablement incarné par une galerie de gueules qui impriment la rétine (Jeremiah Knupp, Rene Wachner-Solomon, Noah Carlson, Cuyler Ballanger).
cannes 2024 // un certain regard // les films du losange // prochainement en salle
JULIE KEEPS QUIET
Leonardo Van Dijl (Bel) Semaine de la Critique
Le nouveau venu Leonardo Van Dijl a choisi la focale des relations toxiques entre un coach de tennis et son apprentie-championne pour son premier film. Déjà sélectionné à Cannes avec son court Stephanie, le Belge a marqué la Semaine de la Critique 2024 de son empreinte avec le récit passionnant de la jeune Julie, meilleur espoir de son académie d’élite de tennis, qui voit son destin basculer quand Jeremy son pygmalion et entraîneur de toujours se voit suspendu de ses fonctions pour laisser l’enquête sur le suicide d’une de ses anciennes élèves se poursuivre le plus sereinement possible. Tous les regards se portent alors sur Julie et le témoignage qu’elle pourra dévoiler sur les conditions de travail imposées par le coach. Face à lui (le puissant Koen De Bouw vu dans L’Homme qui a vendu sa peau (de Kaouther Ben Hania) la jeune sportive garde un silence assourdissant. Si le film repose grandement sur Tessa Van den Broeck, formidable interprète, le traitement que le cinéaste adopte est de la marque des grands. Ne jamais lâcher Julie du cadre, toujours à bonne distance, cette même distance que tout l’environnement qui gravite autour d’elle sait instaurer. La joueuse est entourée d’une intelligence prodigieuse, que ce soit celle de ses deux parents parfaits dans l’écoute et le respect dû à la pression exercée sur leur fille, ou celle de l’équipe pédagogique de l’écurie de champions. L’image de Nicolas Karakatsanis sublime le tout, rendant l’univers autour de Julie tantôt floue tantôt plus directe pour épouser du mieux possible le cheminement du personnage. Sans parler des scène de tennis proprement dite que l’on aura que très rarement vu aussi bien retranscrites sur grand écran. Vous n’écouterez plus jamais pareil le son des balles dans la raquette après avoir vu le film.
cannes 2024 // semaine de la critique // jour2fête // prochainement en salle
À SON IMAGE
Thierry de Peretti (Fra) Quinzaine des Cinéastes
Dans la liste Wask des 100 films pour Cannes, c’était l’un des projets français les plus excitants de ce Cannes numéro 77. Placé comme l’événement du début de la Quinzaine des Cinéastes, l’attente était fortissimo. Au gré d’une filmo sans accrocs (Les Apaches, Une vie violente, Enquête sur un scandale d’Etat), le Corse Thierry de Peretti retrouvait son île pour y adapter, avec Jeanne Aptekman, le livre éponyme de Jérôme Ferrari, À son image. Structuré autour de plusieurs moments de la vie d’une jeune photographe, le film en profite pour raconter l’histoire de la Corse de la fin du XXe siècle à travers le destin d’Antonia, éprise d’un indépendantiste des plus furieux. Comme à son habitude, de Peretti s’appuie sur un casting sauvage de Corses nouveaux venus, tous plus extra-ordinaires les uns que les autres, pour accompagner Antonia Buresi (la révélation de Rodéo) et Alexis Manenti. Passionnant de bout en bout, Le film, qui ne s’interdit aucune passerelle, baissant de rythme quand nécessaire ou au contraire accélérant le tempo pour épouser la trame, n’élude pas les impasses du nationalisme sans pour autant disqualifier la cause corse, il en saisit même délicatement, comme en sourdine, la singularité. Citons les deux principaux acteurs de cette idylle brûlante : Clara-Maria Laredo et Louis Starace.
cannes 2024 // quinzaine des cinéastes // pyramide // le 4 septembre au cinéma
L’HISTOIRE DE SOULEYMANE
Boris Lojkine (Fra) Un Certain Regard
Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt. Troisième film après Hope (Semaine de la Critique 2014) et Camille (Locarno 2019), L’Histoire de Souleymane est comme uppercut bien placé sous le menton. 92 minutes, et pas une de plus, haletantes, suffocantes et précises comme de l’horlogerie suisse. Écrit par le cinéaste et Delphine Agut (Inchallah un fils, Après la guerre), le scénario retrace trois jours de la vie de Souleymane, livreur clandestin en course vers des papiers rédempteurs… Si les frères Dardenne avaient pu enfanter un rejeton, ils ne renieraient certainement pas Lojkine et L’Histoire de Souleymane tant la filiation avec les plus grandes oeuvres des double-palmés belges est flagrante et n’aurait pas rougi de se voir upgradé en compétition. Et que dire de Abou Sangare, star des rues de Paris au volant de son 2 roues. D’ores et déjà l’un des grands personnages de ce Cannes 2024. Sans parler de l’épilogue du film avec l’arrivée de Nina Meurisse (déjà « Camille » dans le précédent film de Boris Lojkine) qui serre le coeur et clôt l’odyssée de la meilleure des manières.
cannes 2024 // un certain regard // pyramide // le 27 novembre au cinéma
LES REINES DU DRAME
Alexis Langlois (Fra) Semaine de la Critique
Il était passé maître dans l’art de trouver les pitchs et les titres les plus fantasmagoriques avec ses premiers essais en format courts. On pense à De la terreur, mes soeurs !, Les Démons de Dorothy ou le désopilant Fanfreluches et idées noires. Le voici maintenant triomphant avec Les Reines du drame, son premier long métrage d’une réussite unanimement salué. Basculés en 2055, Steevyshady (l’excellent Bilal Hassani dans l’exercice), un youtubeur de 65 ans, poste une vidéo sur Mimi4Ver, sa chaîne dédiée à Mimi Madamour, une chanteuse pour ados des années 2000, pour fêter les 50 ans de « Pas touche ! », son plus grand tube. L’homme lifté se filme dans sa chambre d’ado, encore couverte de posters de la star. Il confesse l’avoir traînée dans la boue, parce qu’il n’a jamais accepté son idylle avec la chanteuse punk Billie Kolher. Aujourd’hui, Steevy veut leur rendre hommage en racontant leur histoire… Fils illégitime de John Waters, Russ Meyer ou Yann Gonzalez, Alexis Langlois habitué des pastiches kitchs et survitaminés, a imprimé sa marque de fabrique sur Cannes 2024. On se souviendra longtemps de la salle Miramar entonnant à tue-têtes le tube (car ça va cartonner dans les charts on le signe !) « Pas Touche ! ». Les musiques sont signées Yelle, Rebeka Warrior, Mona Soyoc et Pierre Desprats. Produit par la fidèle Inès Daïen Dasi pour Les Films du Poisson, le duo a relevé le gant embarquant avec lui une galaxie d’incarnations fantasques menée par les nouvelles venues Louiza Aura et Gio Ventura, Thomas Poitevin, Asia Argento et Alma Jodorowsky.
cannes 2024 // semaine de la critique // bac films // en salle prochainement